FDLS 2 Grave de Julia Ducournau

Pure sang

Il a défrayé la chronique et fait vomir les âmes sensibles, sortit de nuls parts Grave à fait l'effet d'une bombe dans le globe cinématographique. Mais pourquoi donc ? Car Grave est le film de tous les contraires. Film de genre, film de femme, film gore, film français et film d'auteur, il est l'alliance bienheureuse d'un croque-mitaine et d'une philosophe moderniste. En deux mots, une évolution. Mais trêves de digression mélioratives, plongeons nous au cœur de cette œuvre baroque.
Grave, nous narre les débuts d'une jeune bourgeoise végétarienne dans une école de vétérinaire, et comme toutes les premières années, la jeune dame va connaître les joies du bizutage. Bizutages qui vont lui faire découvrir une face cachée de sa personnalité. Plus précisément la jeune frigide devient progressivement une cannibale affamée. Il y a comme un parfum de Kafka dans Grave, la transformation effrayante et irrémédiable d'une personne, alors en conflit avec sa famille, mais soutenue par sa sœur. La transformation physique va de pair avec la transformation psychique chez Julia Ducournau, déjà dans son précédent court-métrage Junior, dans lequel une boule de nerf devient une jolie dame en passant littéralement par la case arrachage de peau. Alors oui, Grave n'a pas volé son interdiction aux moins de seize ans. Mais que les choses soient claires, il ne s'agit pas d'un film d'horreur contrairement à ce que la bande-annonce essaye de nous faire croire. Il n'y a qu'un seul et unique jump-scare, quasiment aucune séquence d'étirement ou d'agression physique. En revanche, le film nous montre tout. Grave est crue, la notion de tabou est ici pulvérisée, le hors-champ n'est jamais employé afin de sous-entendre un moment d’horreur ou même gore, ils nous sont toujours montrés en gros plans et de manière explicite. On peut même ajouter qu'un effort a été fait pour utiliser le plus possible de la matière première. En effet se sont de vrais cadavres de chien que l'on découpe ou encore un véritable anus de vache dans lequel une actrice fourre sa main. Donc non, ce n'est pas effrayant en soit, mais très clairement, nous sommes face à une magnifique imagerie morbide très explicite. Pourtant, le gore dans Grave n'est que la face de la pièce, car le film brise un autre tabou, celui des pulsions sexuelles féminines.
Dans la tradition du cinéma de genre, l'élément fantastique est nécessairement porteur de métaphore. À titre d'exemple la chose issue The Thing de Carpenter représente le sida alors que la maladie venait d'être révélée. Or dans Grave les pulsions cannibales sont la métaphore des pulsions féminines. Pulsion que la jeune fille essaye de refouler, de contrôler jusqu'à s'infliger d'atroces souffrances. Les scènes les plus éprouvantes de l'œuvre ne sont pas les « repas » mais de trop longues sessions de démangeaisons et d'auto-flagellation. Sous cet angle, le film peut être perçu comme un match de boxe de l'esprit face au corps. Et bon sang que ce combat est traité avec justesse, il n'y a aucune forme de condescendance ni d'apitoiement de la part de la réalisatrice qui garde la même distance clinique avec son sujet. C’est une autre grande qualité du film, on ne trouve aucune forme de racolage. Alors que c'est un écueil que l'on peut trop facilement faire au cinéma gore de manière globale, les effusions de sang ont tendance à tendre vers le spectaculaire et donc tragiquement vers le grand-guignol. Or Grave nous rappelle que l'on peut filmer deux humains qui copulent sans que cela soit sexy, de même que l'on peut montrer une mise à mort sans violence extrême. Enfin autre étiquète qu'il ne faudrait pas coller trop vite sur l'affiche du film, Grave n'est pas que violence.
Il sait même être véritablement touchant et poétique. Tout d'abord grâce à un énorme travail du chef opérateur qui a su garder une ambiance froide tout en montrant des couleurs vives. Ensuite, car Grave, c'est une belle histoire de famille, sans que la famille soit belle. On ne voit que très peu la mère, pourtant son ombre est omniprésente tout au long du récit, archétype de la mère toxique qui trace la destinée de sa progéniture et la punit si elle ose dévier. Face à elle un père résigné et effacé qui n'ose parler à sa fille que lorsque leur mère est loin. Impuissant jusqu'au, bout son dernier monologue est pourtant l'une des plus belles tirades du film. Qu'en est-il alors des deux sœurs ? Deux anges exterminateurs qui ont un rapport de mentor/menteur. Elles sont partagées entre un dégoût réciproque et une complicité juvénile. Malheureux produit de deux être infects noyées par la pression sociale, elles choisissent de s'unir et de résister pour parvenir à vivre tout simplement. Quoiqu'il en soit au cœur de ce maelström familial, le récit s'offre plusieurs dérapages poétiques qui offrent du souffle à un spectateur qui ne s'attendait pas à en voir autant.
Mais par-dessus tout, Grave est un espoir pour le cinéma français. Le pays des frères Lumières a beaucoup trop longtemps dénigré son cinéma de genre, faisant le grand écart entre un cinéma d'auteur exigeant et des productions télévisuelles creuses. Ce gigantesque terrain de création qu'est le cinéma de genre n'existe presque pas pour médias. Les séries B ne sont tout juste diffusées, les projets science-fiction n'obtiennent jamais de budget suffisant et que dire des réalisateurs comme Alexandre Aja ou Jacques Tourneur qui ont dû s'exiler aux Etats-Unis pour espérer faire des films d'horreur. Grave est un cas unique de film gore français qui bénéficie de l'adoubement des médias et d'une campagne de diffusion jusque-là inégalée. Cela passe malheureusement par une bande-annonce un poil hypocrite ainsi qu'un incessant martèlement sur le fait que la réalisatrice soit normalienne et sorte de la Femis. C'est un peu comme si le CV de la dame servait à valider le caractère « sérieux » du film. Alors à tous les malheureux qui ont crû aux racontars de journalistes sous-qualifiés, oui le cinéma de genre français existe mais avec Grave, il pourrait bien prendre son envol. Aussi je vous en conjure allez voir ce chef-d'œuvre.

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